Guerre des 12 jours : l'impact des frappes iraniennes censuré par Israël

Un mois après la fin du conflit opposant Israël et l’Iran, l’étendue des dégâts causés par la République islamique reste floue, notamment à cause de la censure israélienne. Les images analysées par la rédaction des Observateurs révèlent des dégâts conséquents, avec au moins huit cibles militaires et stratégiques touchées par l’Iran.
Des pans entiers de bâtiments effondrés, des voitures qui se chevauchent et des traces de destructions qui s’étendent sur plusieurs centaines de mètres : le 14 juin 2025, les habitants de la rue de Tirzah à Ramat Gan se réveillent dans les décombres. Dans la nuit, cette ville de la banlieue de Tel Aviv a été frappée par un missile balistique iranien infligeant d’importants dégâts dans le quartier. Les sirènes d'alerte avaient poussé les habitants à rejoindre des abris anti-missiles et refuges, mais une femme de 74 ans a été tuée dans l’attaque.
Quelques heures avant cette frappe iranienne sur la ville de Ramat Gan, Israël lançait une attaque surprise sur l’Iran, déclenchant un nouveau conflit armé entre les deux pays. Dans un discours diffusé le 13 juin 2025, Benjamin Netanyahou justifiait l’attaque par "la menace claire et immédiate" que posait le programme nucléaire iranien "pour la survie d'Israël". Durant le conflit, près de 30 hauts responsables militaires et 11 scientifiques nucléaires iraniens ont été tués. Plus de 900 sites militaires ont été attaqués par l’armée israélienne, et 800 à 1 000 missiles iraniens ont été détruits au sol.
36 frappes iraniennes vérifiées par la rédaction des Observateurs
La frappe sur Ramat Gan est l’une des premières à atteindre le sol israélien. Malgré les frappes israéliennes sur ses bases militaires, l’Iran a pu tirer plus de 500 missiles sur Israël pendant les 12 jours de guerre, selon l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS), un think tank israélien affilié à l’Université de Tel-Aviv. Si la plupart des tirs ont été interceptés par les défenses israéliennes, plus de 50 missiles - selon l’INSS - se sont écrasés à travers le pays.
Durant et à l’issue des 12 jours de conflit, les deux parties se sont opposées sur l’impact réel des frappes iraniennes. D’une part, les autorités iraniennes ont vanté leur réussite, assurant avoir touché 16 sites stratégiques israéliens. De l’autre, les autorités israéliennes ont minimisé les dommages causés par les frappes iraniennes.
La rédaction des Observateurs a identifié et géolocalisé 36 frappes iraniennes en Israël grâce à un travail en sources ouvertes, croisant des images amateurs et professionnelles. Les images que nous avons vérifiées documentent des dégâts étendus sur de nombreuses zones résidentielles, mais aussi des tirs ayant atteint des sites militaires et stratégiques. Bien que les dommages infligés à Israël soient largement inférieurs à ceux subis par l’Iran, notre enquête révèle des frappes majeures, camouflées par la censure israélienne. Pendant les hostilités, l’armée israélienne a ordonné aux médias israéliens et internationaux de ne pas publier d’informations et d’images de frappes sur ou à proximité de sites militaires.
Des frappes sur des sites militaires passées sous silence
Grâce à des images amateurs ayant fuité en ligne, notre équipe est parvenue à identifier quatre missiles iraniens ayant atterri sur, ou à proximité directe de zones militaires israéliennes.
Le 17 juin, un missile iranien a touché le camp Moshe Dayan, à Ramat Ha-Sharon au nord de Tel-Aviv, à quelques centaines de mètres du siège du Mossad, le service de renseignement extérieur israélien. Le camp Moshe Dayan est connu pour abriter des bureaux du renseignement militaire israélien, ainsi que l’unité 8200, spécialisée dans l’interception des communications. Une vidéo amateur documente l’impact du missile sur le camp, et des images prises au sol publiées sur Telegram permettent de confirmer qu’au moins un bâtiment dans le camp - un hangar dont l’utilisation reste inconnue - a été endommagé par le missile. Trois autres missiles visibles dans la vidéo ont touché des cibles civiles à proximité du camp.
Malgré l’importance stratégique du site, ni les autorités, ni les médias israéliens ou internationaux n’ont relayé ou commenté cette frappe.
Même son de cloche pour une frappe ayant atteint HaKirya, quartier de Tel-Aviv, le 13 juin. Il abrite notamment le quartier général de l’armée israélienne et le ministère de la Défense israélien. Lorsqu’en direct, et filmé devant le ministère, le journaliste Trey Yingst de la chaîne américaine Fox News annonce qu'un bâtiment dans le complexe vient d’être touché par un missile iranien, il est interrompu par un homme qui lui demande - en anglais - de "reculer".
Le journaliste demande alors à son cameraman de tourner la caméra sur un autre bâtiment, avant d’être à nouveau interrompu, et de devoir pointer la caméra au sol. La vidéo n’est pas disponible sur les réseaux sociaux de la chaîne Fox News, mais elle a été dupliquée, puis partagée en ligne.
Les vidéos et photos consultées par notre rédaction permettent d’affirmer que la frappe a touché un bâtiment résidentiel de 32 étages, le complexe Da Vinci situé à proximité immédiate du complexe militaire.
D'autres exemples de censure sur cette attaque ont pu être constatés dans des médias israéliens et internationaux. Le journal israélien Haaretz a par exemple attendu le 29 juin pour mentionner cette frappe dans un article, soit deux semaines après la date du tir alors que les images avaient déjà fait le tour des réseaux sociaux.
À l’aide des données partagées par l’Université d’Oregon, nous avons pu vérifier deux autres frappes qui ont atteint des sites militaires : la base aérienne de Tel Nof au sud de Rehovot, et Camp Zipporit au nord de Nazareth.
La rédaction des Observateurs a demandé à l'armée israélienne le 1er août si elle pouvait confirmer que des missiles iraniens avaient touché des sites militaires pendant le conflit. L'armée n'a pas répondu avant la publication de cet article ; si elle envoie une réponse, nous l'intégrerons à cet article.
Une raffinerie à l’arrêt pour plusieurs mois
D’autres frappes iraniennes ont atteint des infrastructures stratégiques pour l’économie israélienne. Des dommages notables ont par exemple été constatés sur des infrastructures énergétiques en Israël suite à des tirs iraniens. Nous en avons identifié trois, dont deux dans la raffinerie de la ville portuaire d’Haïfa dans la nuit du 14 au 15 juin. L'un des impacts a été géolocalisé d’après des images parues dans la presse, et sur les réseaux sociaux. L’autre, grâce à des images satellites.
En comparant la vue aérienne d’un bâtiment situé dans la partie ouest de la raffinerie le 21 juin - soit quelques jours après l’impact -, avec une autre image datée de décembre 2024, son toit semble s’être effondré, laissant la charpente apparente.

Suite à cette vague d’attaques dans la nuit du 14 au 15 juin, le groupe Bazan - chargé de l’exploitation du site - a interrompu ses activités à Haïfa pendant près de deux semaines. Dans une note adressée à la bourse de Tel-Aviv, le groupe a déclaré envisager une réouverture totale du site pour le mois d’octobre et évalue le coût des dommages infligés par les missiles iraniens entre 150 et 200 millions de dollars. Trois employés sont décédés dans un incendie causé par l’attaque.
Plusieurs millions de dollars de dégâts dans un institut de recherche
Au rang des frappes dites "stratégiques", un missile iranien a touché l'Institut Weizmann des sciences à Rehovot, au sud de Tel-Aviv, dans la nuit du 14 au 15 juin. Considérée comme l’une des meilleures institutions de recherche (hors États-Unis) selon plusieurs classements internationaux, elle est aussi liée à l’industrie de la défense israélienne.
Selon l’Institut, repris par l’agence AP, le missile aurait touché deux bâtiments : l’un abrite un laboratoire de biologie, l’autre - en cours de construction - devait être consacré à la recherche en chimie. Plus de 45 laboratoires ont été endommagés au sein de l’Institut, selon le quotidien Times of Israel. Des chercheurs de l’Institut chiffrent les dégâts en centaines de millions de dollars. Sur plusieurs images vérifiées par notre rédaction, un bâtiment touché par la frappe apparaît complètement détruit.
Des zones résidentielles en ruine
Parmi les 36 frappes géolocalisées par Les Observateurs, 28 ont atteint des sites civils sur le sol israélien. Certaines sont tombées sur des champs, des plages, ou des parkings, mais d’autres ont causé d'importantes destructions à travers le pays.
La ville de Rehovot, à une vingtaine de kilomètres au sud de Tel-Aviv, fait partie des municipalités durement touchées par les missiles iraniens. Dans la nuit du 14 au 15 juin, une frappe s’est écrasée en plein centre-ville. À proximité du point d’impact, les bâtiments présentent des dégâts majeurs, allant de la destruction partielle à l'effondrement complet. Des images de drones filmées quelques heures après l’impact par le média local News Rehovot donnent un aperçu de l’étendue des dégâts.
D’autres vidéos disponibles sur TikTok permettent d’évaluer l’ampleur des dommages, et montrent des boutiques aux vitres soufflées et aux devantures branlantes, à plus de 250 mètres du point d’impact.
Au cours du mois de juin, de nombreuses zones résidentielles de villes israéliennes ont été frappées par des missiles iraniens. Dans le sud-ouest de Tel Aviv, un missile iranien ayant atteint un parking, le 16 juin, a éventré la majorité des bâtiments qui l’entouraient. Dans une démonstration visible sur notre vidéo, nous avons localisé des dégâts à près de 300 mètres du point d’impact.
3 500 blessés, 41 000 requêtes pour indemnisation déposées
Pour Farzin Nadimi, chercheur au Washington Institute spécialisé sur les problématiques de sécurité et défense de l'Iran, les zones civiles faisaient parties des cibles de la République Islamique. Sollicité par la la rédaction des Observateurs, il explique : "À un moment donné, pendant ou au tout début de la campagne, ils avaient bien l'intention de viser des zones résidentielles. On ne devrait pas oublier qu'ils considèrent tous les Israéliens comme des ennemis, des combattants ennemis."
Le chercheur voit même dans ces frappes une stratégie iranienne afin de négocier la fin du conflit : "Ils savaient qu'en mettant la pression sur les civils israéliens et en détruisant des zones résidentielles, ils mettaient la pression sur le gouvernement israélien et l'armée pour probablement accepter un cessez-le-feu."
Les destructions engendrées par les missiles iraniens en Israël ont affecté directement le quotidien de nombreux Israéliens. Selon l’INSS, près de 3 500 Israéliens ont été blessés lors du conflit avec l’Iran, et une trentaine de personnes seraient décédées. Plus de 41 000 requêtes ont été déposées auprès du Fonds d’indemnisation de l’autorité fiscale israélienne. En Israël, les dégâts immobiliers et matériels causés par les guerres sont partiellement pris en charge par un fonds d’indemnisation créé à cet effet.
Ces dégâts restent mineurs comparés au préjudice subi par l’Iran lors du conflit. Toujours selon l’INSS, près de 935 Iraniens sont décédés et plus de 4 700 personnes ont été blessées par les bombardements israéliens et américains.
Des missiles aveugles
Mais par delà les frappes destructrices, d’autres frappes analysées ont touché des routes, des parkings, et même des zones inhabitées.
Nous avons par exemple géolocalisé une frappe à Tirat Carmel le 14 juin, dans le nord d’Israël. La vidéo de la chute du missile et son impact au sol indiquent qu'il est tombé sur une plage. Elle se situe à quelques dizaines de mètres d’une route, à 200 mètres des habitations les plus proches, mais surtout à deux kilomètres de la base militaire de Tirat Carmel.
À Beer Sheva, le 20 juin, un missile touchait cette fois un parking, endommageant quelques bâtiments, et incendiant des voitures. À 300 mètres à peine du point d’impact se situe une nouvelle base militaire israélienne, qui abrite le commandement sud de l’armée et une division de cyber défense et des technologies de la communication. Le parking touché se situe également à proximité du "cyber campus" de Beer Sheva, où les firmes américaines Microsoft, IBM ou encore Dell ont installé des bureaux.
Sans communication claire de la part des autorités iraniennes sur les cibles de leurs frappes, difficile de connaître leurs intentions. Pour Farzin Nadimi, ces missiles tombés à quelques centaines de mètres de cibles militaires et stratégiques ont manqué de précision. "S'ils [les Iraniens] ont plutôt réussi à toucher les quartiers résidentiels au centre de Tel-Aviv, ils manquent toujours de précision pour toucher spécifiquement un bâtiment précis dans un complexe militaire, de sécurité, ou de renseignement."
Le quotidien israélien Haaretz, en mentionnant une frappe ayant atteint l’hôpital de Soroka le 19 juin, avançait l'hypothèse d'une stratégie de "terreur balistique" poursuivie par l'Iran pendant le conflit. Une théorie qui expliquerait également les trois frappes iraniennes de missiles à sous-munitions. Ces armes, utilisées pour atteindre plusieurs cibles sur un territoire étendu, ont touché une crèche et une école au sud d'Israël, le 20 juin. Elles n’ont pas causé de victimes humaines.
Forte censure des autorités
L'ensemble des frappes recensées dans cet article ont été partiellement ou complètement camouflées par la censure militaire israélienne. Au sein de l’armée israélienne, un censeur en chef est chargé de limiter les informations sensibles diffusées dans les médias israéliens, comme internationaux. Des directives mises à jour au mois de mai imposent par exemple une relecture de tout contenu mentionnant "les impacts, et résultats d’actions ennemies et les attaques [...] entreprises contre l'État d’Israël”.
L’ouverture d’un conflit ouvert avec l’Iran a renforcé cette politique. Dans un courrier daté du 16 juin adressé aux rédactions israéliennes et internationales présentes en Israël, le censeur en chef affirmait que “l’utilisation de drones ou de caméras fixes pour filmer des plans larges autour des sites d’impact est strictement interdite”. À Haïfa, le 17 juin, alors que les caméras de la chaîne turque TRT en arabe et la chaîne égyptienne Al Ghad TV pointaient vers le port de la ville, les membres des équipes présentes ont été arrêtés par la police israélienne, avant de voir leur matériel saisi.

Et si Israël a tout fait pour cacher les points d’impact sur son territoire national, le contrôle de l’information a été d’autant plus fort pour les sites militaires. Dans le même courrier, le censeur en chef interdisait de "filmer les dommages sur ou à proximité de sites militaires", et de diffuser "l’adresse exacte de l’impact dans des zones civiles à proximité d’infrastructures de sécurité".
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